Track by track Black Dog

Led Zeppelin Black Dog

Au jeu, toujours vain, du classement des plus grands titres du répertoire zeppelinien, "Black Dog" peut raisonnablement prétendre emporter, de peu mais catégoriquement, la toute première place. La concurrence est certes rude, des fresques augustes "Kashmir" ou "Achilles Last Stand" aux obus "Communication Breakdown" ou "Immigrant Song", des blues possédés tels "Since I’ve Been Loving You" aux écrasants titres totémiques comme "Whole Lotta Love" ou "Stairway to Heaven". Pourtant, seul, "Black Dog" rassemble tout ce qui fait le canon zeppelinien : la personnalité saisissante, distinctive, de la composition (emprunts compris), le chant exceptionnel, en puissance comme en originalité, de Plant, la rythmique unique, si singulière, de Jones et Bonham, la frappe structurante de ce dernier, l’imaginaire blues "cock-rock" aussi - et le magnétisme de Page, frêle empereur commandant à une armée de guitares occultes.

"Black Dog" : l'œuvre

Le titre, dans sa dernière version remasterisée :



Gonna make you sweat :
Jones le logicien

Encouragé par Page à créer des compositions pour le groupe, Jones, jusqu’à In Through The Out Door, se limite à des bribes, des sections, des arrangements ("Whole Lotta Love", "Heartbreaker", "Celebration Day", "Since I've Been Loving You"), plus rarement des riffs ("Good Times Bad Times") mais jamais - c’est Page qui le précise - ne livre de titres complets ni aboutis. Si, avec "Black Dog", le bassiste privilégie encore la même approche résolument lacunaire, il s’y aventure cette fois pleinement jusqu'au riff central. Réduire sa contribution à ce seul fragment, aussi complexe soit-il, tiendrait toutefois de l’imprécision coupable, sinon de la malhonnêté intellectuelle, tant ce riff, qui imprimera bientôt sa puissante identité au catalogue zeppelinien, se déploie au-delà de son propre motif et participe pleinement de la mystique du titre - et de celle du groupe.

Tortueux, retors et sinueux, ce bien curieux riff, qui semble se lover indéfiniment en lui-même comme un ruban de Möbius avant, contre toute attente, de s’assoupir, donne l’impression, persistante même après mille écoutes, d’échapper à l’analyse. Est-il rock ? Hard ? Funk ? Ne l'imaginerait-on pas repris par les cuivres d'une fanfare ? Sa création serait en tous cas ancrée dans le seul blues, dans une mouture certes expérimentale, celle de Muddy Waters pour son album Electric Mud (1968), produit par Marshall Chess.

Cette genèse, confiée par le bassiste lui-même et un peu déroutante même à l’écoute du titre, plus chaotique que délibérément méandrique, le plus évocateur de "Black Dog" ("She’s All Right") fut rectifiée par ses propres soins plus de trente ans plus tard : il s’agissait en fait de The Howlin’ Wolf Album (1969) et en particulier, on le suppose, de sa version de "Smokestack Lightning", produit également par Chess… avec les mêmes musiciens de studio que sur Electric Mud. La sinuosité du riff évoque là plus manifestement le concept du futur "Black Dog".

Une amère coïncidence achève d’ailleurs de lier cet album tardif du bluesman, qui se serait bien passé de cette ironie, au quatrième LP de Led Zeppelin. S'estimant inspiré, Chess conçut le concept censément novateur de la pochette - un simple texte, en noir sur fond blanc : "This Is Howlin’ Wolf’s new album. He doesn’t like it. He didn’t like his electric guitar at first" - qui, accueilli au premier degré par le public, se révéla vite dévastateur pour les ventes de l’album. Howlin’ Wolf, qui en avait détesté les sessions d’enregistrement dénaturées par une équipe de blancs-becs adeptes de jazz-rock hippie plus que de blues, ne s’en étonna d'ailleurs pas, lui à qui l’album final inspira cette formule cinglante : "dog shit" (sans préciser la couleur du canidé)... En bref, une pochette qui a tout du "suicide commercial"... comme le sera deux ans plus tard, aux yeux des huiles d'Atlantic, celle d'Untitled au destin commercial, on le sait, autrement heureux.

Jones avait, en tout état de cause, trouvé là une perspective artistique engageante : un riff de blues électrique qui évoquerait un "voyage linéaire", propulsé par une "basse roulante", un "blues lick" ambitieux qui tournerait en boucle, ou en donnerait à tout le moins l'impression, déjouerait les attentes de l'auditeur pour s’achever au moment le plus imprévisible. Si cette approche induit fatalement une certaine complexité, celle-ci n’était pas recherchée pour elle-même : jamais le bassiste ne s’est-il en effet donné comme objectif, comme on l’a longtemps lu, de composer une pièce impossible à reprendre par d’autres groupes... même s’il avoue ne pas avoir souhaité "faire trop simple". Quand on sait que "Good Times Bad Times", dont il avait composé la section la plus élaborée, lui semblait déjà passablement ardu, l’ambition de ce nouveau riff devient encore plus flagrante. Le principe du riff fixé, son écriture fut une simple formalité, ou c’est tout comme, pour le musicien professionnel qui confia l’avoir prise en note, de retour d’une répétition chez Page à Pangbourne, dans… le train. On repassera pour la mystique décadente des bacchanales de l’avion privé de Led Zeppelin ! Jones ajoute d’ailleurs que la transcription, facilitée par une astuce fournie par son père musicien, s’est effectuée sur le verso du ticket de train du jour (malheureusement perdu depuis).

La difficulté d’exécution, en tant que telle, n’était donc pas visée. Mais la complexité de la toute première version du riff, en 3/16, était toutefois telle que le groupe y renonça après quelques tentatives : "Personne n’arrivait à suivre", se désole encore Jones. Ébarbé, le riff final, rien moins qu'époustouflant, purgé de toutes les influences Motown du bassiste, joué au médiator, charpente ainsi un titre colossal qui va évoluer autour de signatures rythmiques croisées, sur lesquelles l’unanimité n’a jamais été faite : 9/8, 5/8 et 4/4. "Plus personne ne nous a comparés à Black Sabbath" conclura en tous cas Jones.

Gonna make you groove :
le Zep collectif

Jones en premier architecte, "Black Dog" n’atteindra à sa perfection finale qu’au prix d’un effort collectif et de contributions métissées convoquant l’insigne alchimie des quatre Anglais - avec, même, le concours d'un cinquième.

Son enregistrement est l’un des tout premiers effectués pour le quatrième album. Dès le 5 décembre 1970 aux studios Island, un mois avant le séjour à Headley Grange, le riff titanesque de Jones est investi. Le bassiste évoquera un contexte de saine émulation, sans concurrence intestine, toute dédiée à la composition, une "course", à qui arrivera le premier à mettre un point final à la composition en gestation. L’étape de verrouillage avec la batterie de Bonham est évidemment primordiale, à la fois pour évaluer l'assise du riff mais aussi pour en éprouver l’originalité. Jones garde en effet en mémoire une session pendant laquelle Bonzo et lui-même faisaient "tourner" un riff à la perfection de plus en plus évidente... jusqu’à ce que le bassiste comprenne qu’il avait rejoué inconsciemment le thème du "South Bank Show" de Melvyn Bragg, lui-même adapté du "Caprice no 24" de Paganini… (Le Dirigeable n'a pas que des pies voleuses à son bord : il fallut se résoudre à abandonner cette prometteuse piste).

Pour l’heure, dans les studios Island, ce tour de chauffe du "Black Dog" originel met très vite au jour des problèmes de calage commun qui semblent insolubles. Il faudra patienter jusqu’aux sessions à Headley Grange en janvier 1971 pour que l’agencement définitif du titre, autour du riff de Jones, soit finalisé. Le premier apport, de taille, c’est celui de Page qui suggère d’arrimer le riff à une structure traditionnelle de blues, celle du "call-and-response", où chanteur et musiciens dialoguent, tour à tour puis ensemble, le premier lançant les seconds qui lui répondent en retour pour mieux s'unir dans un second temps. Pour commune qu’elle soit en blues, cette charpente a été soufflée à Page par un titre du groupe anglais de blues-rock Fleetwood Mac, "Oh Well", paru deux ans avant - ce qu’a confessé Page lui-même, en maugréant à l’idée du nouveau procès qui suivrait selon toute probabilité cet aveu (aucun, à l’heure actuelle). Pas chien, si l’on peut dire, Page remerciera d'ailleurs à sa manière le groupe en jouant "Oh Well" aux côtés des Black Crowes pendant la tournée 1999 et en l'incluant sur le Live At The Greek.

Ce "call and response", presque un poncif du genre, menaçait toutefois de tourner au simple gimmick, nécessairement sans grande originalité, et même de saper le riff de Jones. Naturellement, Page ne pouvait s’en satisfaire, et c’est ici une nouvelle manifestation du génie, non du guitariste mais du compositeur, que d'articuler un riff aussi improbable autour d'un cliché blues pour activer de la manière la plus spectaculaire tout l’édifice rythmique du titre et en redoubler en retour l’autorité du riff. Magistrale, cette "recomposition" du titre apportait toutefois avec elle une nouvelle problématique, décidément récurrente, de calage, celle du départ synchrone de Page, Jones et Bonham (response), une fois clos l’interlude vocal de Plant (call). Le riff tentaculaire de Jones ne se prêtait déjà pas au 4/4 mais l’interruption des sections jouées au profit du chant faisait maintenant voler en éclats tous les repères de redémarrage simultané de la guitare, de la basse et de la batterie.

C’est ici que Bonham, impérieux et impérial, intervient et fait du titre une fête rythmique, là où n’importe quel batteur de rock progressif se serait repu de sa propre complexité - de l’orgueil, de la fierté mais pas de narcissisme dans les compos zeppeliniennes. Comment, donc, dans ce contexte de signatures rythmiques entrelacées, redémarrer comme un seul homme après les interventions de Plant sur lesquelles, Bonham avertit, il sera impossible de se caler tant elles sont vouées à fluctuer ? Bonzo finit par trouver une solution frappée, si l’on peut dire, au coin du bon sens : ignorer tout simplement ces changements et ces pauses et assurer, coûte que coûte, une base 4/4 pour sortir du "turn around". Jones lui-même applaudira l’analyse et la trouvaille, sidérante de pragmatisme. En prêtant l’oreille, on peut d’ailleurs entendre Bonzo faire claquer ses baguettes pendant les interludes chantés de Plant et assurer ainsi un redémarrage (plus) précis. Une prouesse jubilatoire, qui n’exclut pas les erreurs (comme le flottement de la guitare de Page entre 0:41 et 0:47), qui donne une couleur latine inattendue au titre, un peu funky (mais d’un funk bancal), deux ambiances que Bonzo affectionne ("The Crunge", "D’yer Mak’er", "Fool in the Rain"). Tout comme pour "Four Sticks", le batteur ne sera, logiquement, pas crédité sur ce titre, sa contribution, bien qu'essentielle, ne touchant pas à la composition elle-même, comme ce sera le cas sur "When The Levee Breaks" par exemple.

Si Bonham se fait exceptionnel métronome, c’est autour de Plant que, dans ce dédale rythmique, se rallie l’auditeur qui trouve dans les relances du chanteur sa bouée, son compas, sa boussole, sa lanterne, son phare, ce qu’on voudra. Il faut bien imaginer combien les premières écoutes de ce titre paru il y a 50 ans pouvaient être déconcertantes, avec ses deux rythmes parallèles (guitare et basse / batterie) dont on ne comprend pas bien s’ils dialoguent, rivalisent ou s’ignorent. La prise de parole initiale, perçante comme une sirène, de Plant ("Hey hey mama said the way you move") l’installe sur le trône du titre, ou à sa barre (celle d’un drakkar ?) et ses relances, telluriques, aussi péremptoires que celles de "Immigrant Song", subjuguent littéralement l’auditeur par leur assurance. Un tour de force ? Ajoutons que sa partie a, dit-on, été enregistrée en deux prises seulement...

Ces considérations rythmiques enfin résolues, restait à trouver un pont, ou en tous cas une échappée. Page pose là un de ces riffs monumentaux, dont on négligerait presque l’importance tant il surgit après de vertigineuses premières minutes : un riff simplissime, irrésistible, triplé à la guitare, de pur hard rock dans ce que le genre a de plus jouissif, qui soutient le solo et la coda, propulsé par des triolets hallucinants de pied de grosse caisse. Le solo lui-même, d'une "couleur différente" selon les vœux de Page, passé à la Leslie, en retrait pour, comme sur "Rock and Roll", le dépouiller de toute vulgarité criarde, est une réussite totale : chacun de ses motifs surprend et convainc dans le même temps.

Gonna make you groove :
la magie de la console

Le dernier adjuvant, et non des moindres, est fourni par Andy Johns, l’ingénieur-son. On sait que Page, grand sorcier du son zeppelinien, avait tôt pris le parti astucieux de solliciter pour chaque album des ingés-son différents, manière d’affirmer son emprise sur ce poste central. Pour autant, sa collaboration avec Johns fut ici si cruciale, et le rôle de ce dernier si déterminant, que pour certains les crédits auraient pu faire état plus justement d’une co-production.

Le tout début du titre était amené à marquer les esprits - et les oreilles. Page a toujours été sensible à la mise en scène, aux "ouvertures" (pour reprendre le titre de travail du futur "The Song Remains The Same"), veillant à créer des sas de transition entre le monde profane et le temple zeppelinien : rappel martialement battu sur "Good Times Bad Times", rires étouffés avant le riff grinçant de "Whole Lotta Love", piétinements militaires ouatés révélant, comme un drakkar perçant progressivement la brume, l'invasion de "Immigrant Song" : tout est conçu pour détacher d'emblée l'auditeur de ce bas-monde. Concernant "Black Dog", le son introductif est difficile à cerner, presque abstrait : c’est celui de guitares s’échauffant (sic) sur fond de piste trafiquée. Page y entendra quant à lui, dans une formule aussi fameuse qu’heureuse, "l'éveil d’une armée de guitares".

Led Zeppelin Black Dog Jimmy Page

Le son des guitares était évidemment au cœur des préoccupations de Page, encore insatisfait de celui des siennes sur les trois premiers albums. Le guitariste avait été en revanche impressionné par les sonorités, dues au talent de Bill Halverson, des guitares de Neil Young, en particulier dans "Cinammon Girl" sur Everybody Knows This Is Nowhere (1969). La "guitar army" de Page devra, en un sens, beaucoup à ce titre, au moins dans l'esprit.

Quatre Gibson Les Paul se disputent au total les oreilles des auditeurs : celle du solo final et trois autres, triplant la rythmique, tout à la gloire de la stéréo, une à gauche, une au centre, une à droite, chacune enregistrée live selon Johns. En fait de son "Neil Young", et malgré les généreuses explications confraternelles données par Halverson à Johns, c’est un son de "synthétiseur", comme le dira Page, que conçut Johns qui en fut le premier surpris ou presque. Incapable, de son propre aveu, de reproduire fidèlement le résultat de Halverson, l'ingénieur-son livra bataille, fut prêt à capituler et exulta in extremis à Headley avec le soutien bienvenu de guitares, selon ses mots, extrêmement "fiables".

Sur le versant plus technique, l’astuce géniale consista à brancher directement les guitares dans le boîtier DI (Direct Injection) et, à partir de là, dans le canal de micro, afin d’utiliser l’ampli du micro dans la console de mixage pour créer la distorsion - du bricolage intuitif, plutôt ingénieux. Les stars, ce sont deux compresseurs Universal Audio 1176LN Limiting Amplifier (Urei) placés en série, l’un servant d’amplificateur, l’autre de compresseur. Concrètement ? La compression, selon Johns, fut effectuée "à mort" ("to hell", "like crazy", insiste-t-il)… non sans un contre-effet pervers : dès que Page s’arrêtait de jouer, un horrible bruit de soufflerie, monumental, se faisait entendre. Johns mit une heure à en venir à bout, non sans fierté. Aujourd’hui encore, il estime, avec raison, avoir été précurseur en la matière, même s’il trouve, cinq décennies plus tard, que le son est un peu… "mince". Retenons en tous cas, en bref, que les guitares ne passèrent par aucun ampli. Page, au surplus, harmonise son propre riff vers la fin du titre (entre 3:07 et 3:24) ce qui accuse davantage encore la dimension synthétique du son, qui n’en devient pas moins, par une magie toute zeppelinienne, plus lourd également. Notons pour finir que pour Johns, les "main tracks" de guitare auraient été enregistrés dans une espèce de crypte à Headley Grange dont l’existence est toutefois sujette à caution - sans doute une confusion de sa part, aucune "crypte" digne de ce nom n’ayant été recensée au sein du vénérable hospice.

Eyes that shine, burnin’ red :
la mystique séculière

La puissance évocatrice des deux mots, très triviaux, du titre précipita le destin unique de "Black Dog" au point d’en faire un pilier, et sans doute le pinacle, de l’œuvre zeppelinienne. Deux mots tout ce qu’il y a de plus commun ("chien noir", pour les anglophobes) mais qui, associés, et ce, au sein d’un album déjà mystique à souhait, semblaient convoquer occultisme, sexualité et satanisme pour le plus grand ravissement de fans toujours en attente de signes. Plant eut beau rappeler que, tout comme "Rock and Roll", ses paroles, et plus encore ce titre, ne relèvent que du flux de conscience, de la rédaction au débotté, en feeling spontané - celui résumé par le chanteur en ces mots : "let’s-do-it-in-the-bath" - beaucoup n’en voulurent rien savoir et jurèrent y voir (et entendre) des signes à la symbolique aiguë. Et tant pis si, de chien noir, il ne soit jamais question dans les paroles de Plant…

Rien de plus banal et prosaïque en effet que ce "chien noir", on s’en doute : un simple titre de travail passé, par paresse, à la postérité, inspiré au groupe par la présence d’un Labrador Retriever noir aperçu, errant autour de Headley Grange, par les Anglais pendant les sessions, et paresseusement conservé, faute de mieux. Pour l’anecdote - et rien de plus, avertissons les exégètes du Dirigeable - le chien partait nuitamment pour des équipées charnelles et revenait, fourbu, au petit matin profiter d’un repos du guerrier qu’on imagine mérité, parfois même porté par les musiciens eux-mêmes, sous le charme du "rock and roll way of life" version clébard.

Pour les fans, la symbolique canine fut rapidement tout autre : de Robert Johnson, un chien de l’Enfer aux trousses ("hell hound on my trails"), au Stryder de Plant célébré sur Led Zeppelin III, en passant, plus tard, par les "dogs of doom" de "No Quarter", tout indique que le blues, et Led Zeppelin davantage encore, ont partie liée avec le chien, perçu évidemment dans sa dimension satanique de cerbère de l’enfer. La pochette déployée du Untitled ne donne-t-elle pas à voir, en majesté, la bête maléfique ? Et puis ces paroles : "Eyes that shine burning red, dreams of you all through my head". En bref, difficile de nier que le Malin ne se, disons, niche pas dans un tel titre. Et, à nouveau, tant pis si l’affection de Plant pour les chiens soit surtout toute pastorale et hippie (en diable) ou même que l’incident du Grand Danois au Chateau Marmont en 1969 laisse à penser que les relations du Zep avec les chiens sont d'une nature toute séculière.

Led Zeppelin Black Dog lyrics

Pour le reste, nul besoin d’examiner les paroles de "Black Dog" à la loupe, insiste Plant. Le titre, il est vrai, s'intéresse à nouveau aux tourments du chanteur, jouet des manipulations d’un sexe censément faible, mais qui semble prendre un "malin" plaisir à tourmenter notre éphèbe démuni. On prendra bonne note du fait que, décidément, qu’elle soit égérie ou groupie ("Going To California"), la femme est, pour le meilleur et pour le pire, au cœur du quatrième album des Anglais. N’en déplaise aux scoliastes adolescents du Dirigeable, le champ thématique de ce "Black Dog" est cependant très probablement circonscrit à celui de la plus explicite lubricité dans la plus pure tradition blues mâle ("Baby, when you walk that way, watch your honey drip, can’t keep away"). Plant, 22 ans, se fend même d’un bilan tout ce qu’il y a de plus pragmatique : "Big-legged woman ain’t got no soul". Concédons, pour finir, une métaphore filée : en 1981, le chanteur forma un super-groupe éphémère, les "Honeydrippers".

Way you shake that thing :
en live

Le groupe avait bien conscience, dès la tournée Back to the Clubs, qu’il venait de créer de nouveaux classiques en puissance, à éprouver et valider en public. Pour certains, ce fut immédiat, comme "Stairway to Heaven", "Going to California" et "Rock and Roll" ; pour d’autres, trop complexes, quelques tentatives, se soldant par un échec, contraignent le groupe à les retirer de sa set-list, avant de les y réintégrer quelques décennies plus tard, Zeppelin dissous ("Four Sticks"). Tout indiquait que "Black Dog" semblait promis au même sort que "Four Sticks" : ambitieux - si supérieur au meilleur Deep Purple ou Black Sabbath -, casse-gueule, bancal, c’est a priori le titre de tous les dangers sur scène.

Contre toute attente, en dépit de sa complexité, les Anglais se l’approprient prestement. Au prix, certes, d’une relative simplification, Bonham gommant certaines variations de 5/4 pour permettre à Plant de caler plus sûrement ses interludes solo. Le 1er avril 1971, retenu par le groupe pour sa prestation pour la BBC, il est introduit par le riff en descente de "Out On The Tiles", un procédé repris quasi-systématiquement par Led Zeppelin sur scène ensuite.

Le titre fièrement retenu en single américain (sortie le 2 décembre 1971), Plant y trouvera par ailleurs, outre un vecteur à improvisations bluesy improbables ("I’ve got a girl that loves me so love me so sweet jelly roll"), un support pour interagir avec les foules, le "ah ah / ah ah" précédant le solo se prêtant à merveille à l'exercice du micro tendu vers le public. "Black Dog", un "crowd-pleaser" ? Johns ne l'aurait jamais imaginé quand il en griffonnait le riff infernal, calé dans sa banquette de train.

Black Dog

Durée : 4:55
Robert Plant : chant
Jimmy Page : guitares
John Paul Jones : basse
John Bonham : batterie
Compositeurs : Jimmy Page & Robert Plant
Producteur : Jimmy Page
Ingénieur du son : Andy Johns
Enregistré entre décembre 1970 et février 1971 à Headley Grange, East Hampshire, Angleterre avec le Rolling Stones' Mobile et aux studios Island (Londres).